DU JOGGING AU MARATHON

DU JOGGING AU MARATHON

Dépassement de soi, partage et émotion

- Article de presse paru dans la revue Somato N°13 - Juin 2006 -

C’est en 1996, lors de ma quatrième année de formation de somatothérapeute, que je découvris pour la première fois le «jogging». Lors d’une semaine de formation, l’une des intervenantes proposa aux élèves de commencer chaque journée de travail par cette activité sportive. Evidemment, il ne s’agissait pas de nous préparer à une compétition mais, simplement, de vivre ensemble un moment de partage, d’échange et d’émotion. Aucun des participants n’étant familiarisé avec la course à pied si ce n’est pour attraper un bus, un métro ou un train … nous allions tous et toutes découvrir au cours de la semaine les joies de cette activité physique. Le soir, après des journées de travail intenses et des émotions parfois difficiles à gérer, les petites douleurs de nos ischio-jambiers et autres muscles sollicités arrivaient, malgré tout, à faire sourire les sportifs débutants que nous étions.

Cette expérience «partagée» m’enthousiasma tellement que je décidai, dès mon retour de formation, de courir régulièrement. Mes enfants, très impliqués dans le milieu sportif, me donnèrent quelques conseils. A cette époque, je ne courais tout au plus qu’une demi-heure à trois quarts d’heure. Je constatais néanmoins très vite que le plaisir de la détente musculaire s’accompagnait simultanément d’une détente au niveau mental. Par exemple, lorsque je rencontrais un problème difficile à résoudre, il trouvait parfois sa solution après quelques foulées et étirements. Ou encore, je pouvais m’apercevoir, après deux ou trois tours d’un lac ou d’un parc que la raison de la colère qui m’avait animée au cours d’une journée n’était finalement pas aussi importante que je l’avais imaginée. Le lendemain, j’affrontais cette difficulté dans un état d’esprit différent et avec une vue plus objective de la réalité.

Je poursuivis donc cette activité sportive en solitaire durant trois ans jusqu’au moment où la tempête de décembre 1999 vit se fermer tous les parcs environnants de la banlieue parisienne dans laquelle j’habite depuis plusieurs années. Le plaisir de la course à pied impliquant pour moi de courir dans un espace vert, je me vis privée de ce plaisir pendant plusieurs jours jusqu’au moment où un ami me suggéra, puisque cette activité physique me manquait tant, de m’inscrire dans un club d’athlétisme. Sur l’instant, l’idée m’apparut farfelue. Un club d’athlétisme  … à mon âge … c’était hors de question ! Pourtant, cette idée fit son chemin et la semaine suivante, je commençais à me renseigner sur les clubs de la région. J’étais cependant hésitante. Mon manque de confiance en moi enfoui, quelque part, au fond de ma mémoire de petite fille mutique, ressurgissait. Mais n’était-ce pas là un excellent moyen de me prouver que j’avais progressé tant sur le plan mental que physique ? Ma décision prise, j’entrai en contact avec la Présidente d’un club de la région. Celle-ci me réserva un accueil chaleureux au téléphone et m’invita à passer le soir même au stade puisque c’était un jour d’entraînement. A l’heure prévue, je m’y rendis pour y rencontrer l’entraîneur. Celui-ci m’expliqua comment se déroulaient les séances et m’invita à participer aux différentes compétitions proposées. Je lui expliquai que mon but n’était pas de faire de la compétition mais de participer à une activité sportive dans un cadre et un environnement agréables. Je commençai aussitôt mon premier entraînement collectif. L’intensité du travail corporel étant plus important que celui auquel j’étais habituée, je ressentis des douleurs musculaires
pendant une bonne quinzaine de jours jusqu’au moment où le corps s’habitua à ce rythme nouveau. Au fil des mois, je m’apercevais que mon implication et ma participation régulière aux entraînements me donnaient de l’assurance et une meilleure confiance en moi. Le contact avec des sportifs de haut niveau ne m’intimidait pas. Il me permettait même de bénéficier de leur expérience et de leurs judicieux conseils que je suivais scrupuleusement. Après six mois d’entraînement, notre «coach» vint me proposer de participer à une compétition. Je le regardai, surprise, comme s’il s’était trompé d’interlocuteur. Voyant mon hésitation, celui-ci m’encouragea vivement à franchir cette étape. Après tout, quel était le risque ? Arriver dernière de la course ? Le plaisir que j’éprouvais à courir depuis plusieurs années allait bien au-delà d’une blessure narcissique ! Je m’inscrivis donc à ma première compétition. Il s’agissait d’une petite distance (4700 mètres). J’avais alors 53 ans. J’étais la plus âgée du club et la moins expérimentée. Je me préparais néanmoins très sérieusement à cette première expérience autant mentalement que physiquement. Le jour venu, je fus très agréablement surprise de l’ambiance qui y régnait. Moi qui pensais que les compétitions n’étaient réservées qu’aux sportifs de haut niveau, je pus constater sur la ligne de départ que je n’étais pas seule à n’avoir pour ambition que … de participer (selon la formule chère à Pierre De Coubertin !). Cela m’encouragea fortement et je fis de mon mieux ! Lorsque je franchis enfin la ligne d’arrivée - parmi les derniers concurrents, je dois bien le dire - j’éprouvai une immense satisfaction et surtout une agréable sensation de dépassement de soi. Après la compétition, tandis que tous les athlètes se retrouvaient autour de l’entraîneur pour échanger leurs impressions, je me renseignai pour savoir quand aurait lieu la prochaine compétition. Cela fit sourire la plupart d’entre eux compte tenu de mes «réserves» lorsque j’étais arrivée au club six mois plus tôt !

Ainsi, grâce aux encouragements de notre entraîneur mais également des sportifs et sportives du club, je franchis allègrement les étapes des différentes compétitions : 10 km, puis 15 km et enfin le semi-marathon. J’en fis plusieurs avant de me lancer, pour la première fois, en mai 2005, sur le marathon de Melun/Sénart. Je récidivai, un an plus tard, avec le Marathon International de Paris en avril 2006.

Le marathon de Paris fut une étape très importante. C’était la première fois que je participais à une compétition de cette envergure : 35 000 participants ! Pour la solitaire que je suis, l’idée de me retrouver au milieu d’une telle foule constituait déjà une épreuve avant même d’appréhender les 42,195 km du marathon. L’idée de départ étant simplement «de me faire plaisir», dans une ambiance conviviale, je fus très surprise de l’enthousiasme que suscita ma participation au 30ème marathon de Paris auprès de mes enfants et petits-enfants mais également auprès de mes amis et de mon entourage. Je reçus plusieurs appels téléphoniques et courriers électroniques d’encouragement avant le départ. Très surprise également, le jour «J», de la sérénité qui pouvait se dégager d’une avenue des Champs Elysées - lieu de départ du marathon - noire de monde. Au milieu de cette foule compacte, je m’aperçus que mes craintes avaient totalement disparu face à la joie des participants qui m’entouraient, à l’échange et au partage des expériences de chacun sur des marathons précédents et cela plus d’une demi-heure avant le départ. Les consignes de sécurité diffusées par haut-parleurs pour éviter tout débordement éventuel étaient respectées avec discipline tant par les participants que par les spectateurs. Je dois avouer que je n’avais pas imaginé jusque-là quelle pouvait être la dimension de l’échange au milieu de milliers de sportifs ni à quel point les hommes et les femmes qui courent, racontent et partagent un même «univers».

A l’heure prévue, le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, donna le signal du départ du 30ème Marathon International de Paris. Petit à petit, la foule des sportifs commença la descente des Champs Elysées. Les spectateurs venus nous acclamer étaient presque aussi nombreux que les coureurs et les femmes d’autant plus qu’elles ne représentaient que 15 % des participants. La somatothérapeute que je suis ne put s’empêcher de remarquer les émotions qui se lisaient sur les visages des coureurs et des spectateurs. Pour beaucoup de participants, le marathon est un évènement «familial». Ce fut mon cas. Après avoir attendu le départ, mon fils se déplaça en métro pour m’encourager à divers endroits du parcours et échanger grâce au  «portable» des informations avec ma fille, mon gendre et mes petits-enfants habitant en province concernant ma «progression». Nous traversâmes ainsi les lieux prestigieux de Paris : Place de la Concorde, Place de la Bastille, Place de la Nation, etc. Sur tout le parcours du marathon, une multitude d’orchestres, de danseurs, de chanteurs participaient à cette ambiance extraordinairement joyeuse. Au 21ème kilomètre, nous arrivâmes rue de Charenton. Nous allions en direction du Bois de Vincennes. Si dans les premiers kilomètres les échanges verbaux et les éclats de rire étaient fréquents, les coureurs se firent plus silencieux lorsque nous abordâmes le fameux «mur» du trentième kilomètre. A ce moment-là, nous avions atteint la voie Georges Pompidou. Les réserves en glycogène étaient souvent épuisées. La fatigue commençait à marquer les visages. Certains s’arrêtaient, déçus sans doute après les trois mois de préparation physique qu’exige un marathon, d’être obligés d’abandonner la course. D’autres prirent un moment de repos avant de repartir après un rapide massage d’un membre douloureux (la plupart du temps les cuisses ou les pieds) qu’effectuaient les équipes de secours. Le «mur» franchi, il ne restait plus que 12,195 kilomètres. C’est ce que se disaient ceux qui continuaient malgré la fatigue, les crampes, les ampoules aux pieds ou les irritations provoquées par la transpiration et le frottement du maillot ou du short tout en s’arrêtant à chaque ravitaillement devenu plus que jamais indispensable. Tous les marathoniens le savent, après le 30ème kilomètre, on ne court plus avec ses jambes mais avec sa tête ! Un rapide coup d’œil à ma montre m’indiqua que je dépasserais légèrement le temps prévu de cinq heures que je m’étais fixé. Je me consolai en me disant qu’une loi intangible de la course à pied veut que plus un coureur avance en âge plus il perd en vitesse pure ce qu’il gagne en résistance. C’était une motivation suffisante pour ne pas «lâcher» si près du but. Nous abordâmes l’avenue de Saint Cloud. D’après les marquages au sol, il ne restait plus que trois kilomètres à parcourir. J’ai souvent entendu parler de la «solitude du coureur de fond». En l’occurrence, sur le marathon de Paris, ce n’était pas vraiment le cas car si j’avais conscience que je ne réaliserais pas le temps prévu, j’étais loin d’être seule. Nous étions encore des milliers de concurrents sur le parcours. La foule, toujours aussi dense, continuait à nous acclamer avec autant  d’enthousiasme et de joie. Enfin, nous entamions l’avenue Foch (lieu d’arrivée du marathon). Plus que quelques mètres à parcourir. J’aperçu mon fils qui venait à ma rencontre. Il courut une cinquantaine de mètres avec moi pour m’encourager. Cela me permit d’utiliser les quelques forces qui me restaient en réserve pour franchir la ligne d’arrivée à une vitesse légèrement supérieure à celle qui était la mienne sur les trois derniers kilomètres.

Quelques instants après avoir passé la ligne d’arrivée, alors qu’une jeune femme me glissait une médaille autour du cou, je sentis ma tête tourner légèrement mais je savourai néanmoins le moment de bonheur d’être allée jusqu’au bout de ces 42,195 km ainsi que la boisson sucrée que me tendait mon fils. Alors que nous allions récupérer mon sac de sport au vestiaire, il me raconta combien il avait été impressionné de voir de très nombreux concurrents passer la ligne d’arrivée dans un état de fatigue physique extrême. Certains pleuraient, d’autres devaient être aidés par des bénévoles ou un membre de leur famille pour regagner leur domicile sans compter les multiples interventions des équipes de secours de la Croix Rouge. Ce que m’a dit mon fils m’interpella. Où s’arrêtait le dépassement de soi et où commençait la violence faite au corps ? S’agissait-il d’une mauvaise préparation physique et/ou hygiène de vie ? S’agissait-il de remplacer une souffrance mentale par une souffrance physique, ce qui serait un leurre ? Pour le savoir, il aurait fallu interroger chaque coureur individuellement.

En me posant ces questions, je me dis que, finalement, ces deux disciplines, somatothérapie et marathon … n’étaient pas si éloignées l’une de l’autre !

Pour ceux et celles qui seraient tentés par l’expérience du marathon ou simplement de la course à pied, je terminerai cet article par une citation de Cicéron qui peut s’appliquer à toutes les situations et à toutes les circonstances :

«On ne parvient à rien de grand sans qu’il en coûte beaucoup».

Chantal Vincent