Accompagnement du malade

(MALADIE INCURABLE ET/OU FIN DE VIE)

Prendre soin de chacun jusqu'au bout de la vie a du sens et de l'importance pour la dignité de la personne humaine. Toutes les souffrances doivent être prises en compte : souffrances physiques ou morales sans préjuger de leur importance. Séances de relaxation et/ou massages thérapeutiques. Possibilité d'accompagnement à domicile.

 

CAS CLINIQUE

Après ma formation de somatothérapeute, j'ai fait un stage pratique en 1997 dans l'Unité Mobile d'Accompagnement d'un Institut parisien.

L'Unité Mobile d'Accompagnement a pour but d'aider les patients, leur famille voire les équipes soignantes, dans la période difficile de prise de conscience d'un cancer et, le cas échéant, de son issue fatale. Les patients y reçoivent des traitements de confort visant à réduire la douleur et à traiter des symptômes liés à la maladie ou aux traitements reçus.

En cas de fin de vie, l'équipe de l'Unité Mobile d'Accompagnement aide à rechercher de façon concertée, la solution la mieux adaptée à chaque patient : transfert en Centre de Soins Palliatifs, maintien dans l'Institut parisien ou retour à domicile.

Après ce stage j'ai rédigé mon mémoire de formation qui s'intitule : Un mode de communication dans la relation d'aide « Le Toucher par le massage ».

Dans ce mémoire, je présente trois cas cliniques de patients que j'ai suivis sur une période très courte compte tenu de l'état de gravité dans lequel ils se trouvaient.

Voici un extrait de ce mémoire qui concerne « Odette » (nom d'emprunt permettant d'assurer l'anonymat et le secret professionnel).

En préambule, je souhaite apporter une précision quant à l'emploi du terme « massage » qui, utilisé dans le cadre de ce mémoire, ne se réfère pas à l'exercice du métier de masseur-kinésithérapeute* qui a sa propre déontologie et ses applications, souvent sur ordonnance médicale. Les termes de " masseur " ou " massé " de ce mémoire, signifient " celui qui masse " ou " celui qui reçoit un massage ".

* Le statut de " masseur-kinésithérapeute " correspond au Code de la Santé Publique suivant. Loi du 30 avril 1946, décret n° 60665 du 4 juillet 1960, Article L489 : " seules les personnes munies du diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute institué par l'article L488 du Code de la Santé Publique peuvent porter les titres de masseur-kinésithérapeute, de gymnaste médical ou de masseur, accompagné ou non d'un qualificatif. Les qualificatifs et leurs conditions d'attribution sont fixés par arrêté du Ministre de la Santé Publique et de la Population ".

 

 

 

Odette est âgée de 65 ans. Elle est en phase finale d'un cancer généralisé. Les traitements ont été stoppés. Sous morphine à haute dose depuis plusieurs jours déjà, elle est dans un état végétatif. Elle sera transférée en CSP dès qu'une place se libérera.


• Mercredi

Lorsque je m'approche d'Odette, je ne sais pas si elle m'entend. Je lui prends la main. A mon contact, ses paupières se soulèvent légèrement. Je me rends compte que pour elle c'est un énorme effort. Je m'approche très près de son oreille. Je me présente en lui disant tout bas mon prénom. J'effleure délicatement ses mains, ses épaules. Elle sourit. Au cours de cette première séance, Odette ne s'exprime que par le regard. Je sens son envie de communiquer par le langage. Par moment, je la vois réunir toutes ses forces pour ouvrir ses yeux aussi grands que possible; ses lèvres remuent légèrement mais, vaincue par l'effort colossal qu'elle vient de fournir, elle retombe dans sa léthargie. Je passe alors ma main droite derrière son cou que je masse tendrement. Tout ce que l'on arrive à dénouer, à détendre à ce niveau-là, a des répercussions immédiates sur l'ensemble du corps. De ma main gauche, je garde le contact avec son bras, son épaule. Ma main se déplace toujours avec beaucoup de tendresse et de respect. Le respect que l'on éprouve devant un corps souffrant, meurtri, mutilé, et qui nous fait oublier sa déficience. Odette se laisse aller dans ce maternage en souriant. Quel immense plaisir pour moi, quelle émotion, de constater le bien-être que je lui apporte.

Après quelques minutes passées auprès d'elle, je la quitte en lui disant que je reviendrai demain. Ses paupières se soulèvent légèrement, sa bouche esquisse un sourire. Elle exerce une très légère pression sur ma main, je comprends alors que cela lui fait plaisir. Lorsque je quitte sa chambre, elle me suit du regard. Aujourd'hui encore, je me souviens de la beauté de ce regard empreint de reconnaissance. Le corps peut être meurtri par la souffrance et la maladie, les yeux restent toujours beaux surtout lorsqu'ils ont une telle intensité, lorsqu'ils expriment une telle chaleur. Je ne vois les paupières d'Odette se refermer qu'au moment où je disparais dans le couloir.

• Jeudi

J'entre dans la chambre d'Odette. Même état léthargique. Je m'approche d'elle dans un geste très enveloppant. Elle ouvre les yeux. Je lui demande si elle me reconnaît. Elle me répond en prononçant mon prénom avec un sourire qui illumine son visage. Tout comme hier, je pratique des effleurages. Les fonctions essentielles n'étant plus assurées par l'organisme, l'abdomen d'Odette est aussi gros que celui d'une femme enceinte de cinq ou six mois. Je pose délicatement mes deux mains sur son ventre dur, gonflé et douloureux. J'attends un moment. J'observe ses réactions. Le rythme de sa respiration devient plus régulier, les muscles de son visage se détendent.

Je pratique des effleurages sur le côté gauche lorsque son fils, Daniel, pénètre dans la chambre. Il a entre vingt-cinq et trente ans. Son visage est empreint d'une profonde tristesse. Ses yeux sont cernés, rougis par les larmes qu'il a essuyées subrepticement sur son visage juste avant d'entrer. Lorsqu'il m'aperçoit, il s'excuse et se propose de revenir. Je l'encourage bien au contraire à rester. Il s'assoit près de sa mère, du côté opposé au mien. Nous nous tenons physiquement très près du corps d'Odette. Nous lui prenons la main. Sans que nous nous soyons concertés, Daniel imite chacun de mes gestes. Odette sourit comme pour nous prouver que le corps malade peut redevenir, quelques instants, un lieu d'émotion et de plaisir. Puis, elle ouvre les yeux. La " rencontre " du regard d'Odette et de son fils est très émouvante. Les mots d'amour de Daniel pour sa mère le sont également. " Ma petite maman chérie ... ". L'émotion lui noue la gorge. Je " l'accompagne " dans sa douleur en posant délicatement ma main sur son épaule. Aider quelqu'un ce n'est pas forcément lui apporter " quelque chose " mais lui permettre ... " d'être " par une présence, une réceptivité, une écoute attentive et silencieuse. Lorsque je m'apprête à quitter la chambre, Daniel me suit dans le couloir. Il tient à me faire savoir que si sa mère ne s'exprime pas, il sait que mes visites lui font beaucoup de bien. Odette lui a dit dans un des rares moments où elle parvient à s'exprimer par le langage. Il souhaite très vivement que je continue à m'occuper d'elle. Bien sûr, lui dis-je, jusqu'à ce qu'une place se libère en CSP, ce qui ne saurait tarder.

• Vendredi

L'état d'Odette est toujours aussi léthargique. La communication ne passe plus que par le toucher. Les paupières ne parviennent plus à se soulever. Je la materne comme un bébé. Je sens une agitation chez elle aujourd'hui mais je ne comprends pas pourquoi. Je ne connais pas son histoire personnelle et familiale mais je sais qu'un membre de sa famille venait juste de quitter la chambre au moment où je suis arrivée. Y aurait-il une relation de cause à effet ? Ce n'est pas impossible. Car si son état végétatif ne l'empêche pas de ressentir des vibrations positives, il ne l'empêche pas non plus de ressentir des vibrations négatives.

Lorsque je quitte Odette ce jour-là, j'éprouve un sentiment d'échec. Ne s'est-il pas passé quelque chose juste avant mon arrivée dans la chambre. En perdant ses défenses, on devient si vulnérable. L'approche de la mort peut réactiver des souffrances anciennes. Cela n'aurait-il pas été le cas pour Odette aujourd'hui ? De plus, en touchant le corps, on accède aussi à l'histoire du patient. Cette histoire peut rappeler des plaisirs, des joies, des caresses mais aussi des chocs affectifs, des coups et des blessures. Que s'est-il passé pour Odette avant mon arrivée ? Elle seule pourrait nous le révéler.

• Lundi (semaine suivante)

Avant que je n'aille voir Odette, les infirmières me font savoir qu'elle est très agitée. A la morphine ont été ajoutés des tranquillisants. Elle est dans une sorte de torpeur. Son corps et son visage ne réagissent pratiquement pas à mon toucher. Je continue néanmoins à alterner massages légers et effleurages. Seules les paupières se soulèvent parfois faiblement. Je vis cette rupture de communication un peu comme une mort. Aussi, je suis très étonnée, lorsque je m'apprête à ouvrir la porte de sa chambre pour partir, de voir ses yeux s'ouvrir, son visage s'éclairer d'un sourire et son bras se lever assez haut pour me dire au revoir. L'être humain a parfois des ressources insoupçonnées.

• Mardi (semaine suivante)

Demain, Odette sera transférée en CSP. Je suis venue lui dire au revoir avant son départ. Elle est calme, sereine, souriante. Une jeune femme est assise près de son lit. Elle me parle d'Odette avec beaucoup d'amour et de tendresse. Elle me raconte un peu son passé, tout ce qu'elle a donné. Il y a énormément de chaleur et de générosité dans sa voix. J'accueille ces confidences comme une part de son intimité qu'elle me fait partager. Le visage d'Odette est plus " vivant " aujourd'hui que les autres jours. Je prends sa main entre les miennes pour lui dire au revoir. Ses lèvres s'entrouvrent légèrement pour ne prononcer qu'un seul mot ... " bisou ". Je me penche pour l'embrasser. Cette jeune femme, sa belle soeur je crois, est très étonnée de cette manifestation de tendresse de la part d'Odette. Il n'est pas dans sa nature me dit-elle d'exprimer ouvertement ses sentiments. Je suis très émue, comme à chaque fois, par la spontanéité de ces témoignages de sympathie.

Odette n'est sans doute plus de ce monde aujourd'hui. Je pense souvent à elle et à l'encouragement que son contact m'a apporté. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette familiarité quotidienne avec la mort n'implique aucune morbidité mais au contraire un goût intense de la vie. Si la mort nous laisse dépouillés, elle ne nous enrichit pas moins intérieurement et nous permet parfois d'accepter l'inacceptable.